samedi 17 février 2024

Guerre, et autres affaires intérieures

 Tolstoï pensait que les gouvernants d’un pays, a fortiori s’agissant de gouvernements autocratiques, entretenaient leur armée non pas pour se protéger des ennemis de l’extérieur, ou pour protéger leurs frontières, mais bien  pour se garder de leur propre peuple, potentiellement  coupable et susceptible à leur yeux de déstabiliser leur pouvoir.

Comparaison n’est pas raison mais on pourrait appliquer cette réflexion à la Russie de Poutine, à la Corée du Nord de Kim-Jong Un ou bien à l’Etat d’Israël de Netanyahu. Le but de chacun de ces chefs d’Etat est prioritairement de rester au pouvoir, le reste vient après, comme être au service de leur peuple, tant il est vrai que cette dernière exigence est à géométrie variable, à la merci d’une analyse politique autocentrée sur l’exercice d’un pouvoir sans partage.

Montrer ses forces à l’extérieur est une façon de les montrer aussi, et surtout, à l’intérieur. Et faire donner la guerre, la donner comme unique horizon au travers d’une course à l’armement inéluctablement mortifère, est une bonne manière de se détourner des problèmes domestiques. Ce n’est peut-être pas vieux comme le monde mais au moins aussi ancien que les nations qui le composent.

Le cas d’Israël reste cependant le plus singulier en cela qu’il se fait passer, du moins dans l’esprit occidental,  pour « démocratique ». L’Etat d’Israël figure, aux yeux des principaux media adepte de la pensée binaire, dans le camp des « bons » plutôt que celui des « méchants ». Ce n’est donc pas un Etat que l’on a coutume de qualifier de terroriste. On peut dire malgré tout, qu’en matière de terreur ou de mort, il excelle si l’on en croit les bilans des offensives terrestres et aériennes de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

La violence n’est pas d’un seul camp, loin s’en faut, elle est même  disproportionnée : sans vouloir verser dans les juxtapositions funestes, le rapport aura été d’un mort israélien  pour plus de 20 palestiniens.

Les événements du 7 octobre, parce qu’ils furent abominables, auront donc donné le signal d’autres exactions, tout aussi impardonnables, sous le couvert de l’autorisation donnée à Israël de « se défendre » ; ce qui dans les faits signifiait la permission de frapper, à l’aveugle et à profusion, les populations palestiniennes.

Vous avez dit «démocratique » ?

Ce type de démocratie est en tout cas est bien malade. Démocratique, vraiment, un Etat qui réprime  les manifestations demandant des négociations pour la libération des otages, et ainsi les vouer fatalement à l’échec ? Netanyahu sur ce plan reste intransigeant, ne rien vouloir négocier alimente la spirale terroriste, celle qui est susceptible de le servir. La guerre contre le Hamas pour être légitime ne l’est pas lorsqu’il s’agit de contenir ou de nier les aspirations ou l’existence même des populations civiles quelles qu’elles soient.

Pourtant, et c’est sur quoi compte le leader israélien, cette guerre est dans le même temps, de nature à calmer les ardeurs de ses opposants. Le premier ministre Netanyahu, chef de l’extrême- droite, est accusé de corruption. Tant que la guerre fait rage la mise en cause de l’actuel premier ministre est en quelque sorte refroidie même si, malgré le cours de la guerre, son procès a pu reprendre formellement en novembre dernier mais au travers, guerre oblige, d’une réduction de l’activité judiciaire.

Plus grave encore, car il s’agirait là de la mise à mort de l’Etat de droit, le premier ministre israélien persiste dans sa volonté de mettre un terme à la séparation des pouvoirs. Cette réforme impopulaire, mais appuyée par l’extrême droite et par les religieux suprématistes, doit permettre l’introduction d’une clause dérogatoire permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple  les décisions de la Cour Suprême. Cela constitue une remise en cause sans précédent d’un principe fondateur, s’il en est, de nos démocraties.

La guerre comme entrave naturelle à la démocratie

Le 7 octobre constitue-t-il vraiment le début de cette « guerre » ? N’est-elle pas qu’une étape, décisive certes mais parmi d’autres crimes de guerre insupportables instrumentalisés pour relancer vengeance et folies meurtrières. Les massacres du 7 octobre ne peuvent être considérés seulement en eux-mêmes mais comme la conséquence d’une guerre chronique dont les violences extrêmes réduisent d’année en année les espoirs de paix. Le 7 octobre vient après des centaines d’assassinats perpétrés à l’intérieur même de la bande de Gaza, y compris commis par les services secrets israéliens ou l’armée. En Cisjordanie les colons israéliens se livrent eux aussi à des crimes contre les Palestiniens dont on veut s’accaparer les terres.

Les colons bénéficient du soutien  des partis d’extrême droite qui sont aujourd’hui au pouvoir en Israël. En Israël même on s’étonne que le Hamas ait pu militairement prendre le dessus le 7 octobre. Ainsi l’opposition à Netanyahu avance-t-elle que cette attaque a été facilitée par le transfert de troupes israéliennes en Cisjordanie, dégarnissant ainsi la frontière avec Gaza. Tout cela pour épauler les colons dans leur œuvre d’appropriation de terres et permettre la construction de milliers de nouveaux logements actant d’une colonisation que condamne pourtant le droit international.

Pour certains opposants toute la stratégie du Likoud et de l’alliance avec les suprématistes ou les ultranationalistes religieux auront été de favoriser l’existence du Hamas au détriment de l’Autorité Palestinienne. Cela afin de justifier une guerre permettant la persistance d’une théocratie extrémiste. En tout état de cause les services de renseignements israéliens se seront bien montrés incapables de prévenir une attaque qui aura, par multiplication de violences, instauré dans les esprits le caractère inéluctable d’une guerre séculaire et sans merci.

Reste à savoir maintenant comment réagira la démocratie israélienne ? Sera-t-elle capable de relever le défi d’une guerre qui par nature l’empêche de prospérer ? Le discours guerrier et la guerre elle-même profitent à l’actuel pouvoir israélien qui s’est adjoint le soutien des ultranationalistes tels que Besalel Smotrich, tenant d’un intégrisme religieux qui n’a rien à envier à celui du Hamas ; pouvoir encore soutenu par une extrême droite radicale personnalisée notamment par Itamar Ben Gvir poursuivi à ses heures lui aussi par la justice.

La seule solution du conflit réside dans une réappropriation du pouvoir par le peuple. Facile à dire certes, mais réappropriation rendue de plus en plus nécessaire pour échapper aux ultimes catastrophes dont nous-mêmes ne sortirions indemnes. Il faudrait pour cela respecter et imposer le droit international, rendre la démocratie à ceux qui la respectent. Refuser aux autocrates, quel que soit le camp auquel ils appartiennent, la possibilité de sévir à l’intérieur de leur pays, rendre le pouvoir aux parlements, et en définitive refuser la guerre comme unique solution aux conflits devenus ancestraux.

JMarc Gardère

article paru dans le numéro 312, février 2014 de Démocratie et Socialisme

vendredi 20 octobre 2023

Le massacre des innocents

 Non au massacre des innocents, de quelque bord soient-ils. La situation, au lieu de fausses interprétations, doit convoquer notre mémoire, retracer cette histoire conjuguée de la Palestine et d’Israël.

Israël doit respecter le droit international et les résolutions des nations unies au lendemain de la guerre des six-jours de 1967.

A l’instar d’Israël, les Palestiniens ont droit à un Etat souverain, ils n’ont pas à être enfermés dans cet immense camp à ciel ouvert que constitue la bande de Gaza, véritable enclave, véritable prison.

Il faut  condamner sans ambiguïté les agissements terroristes du Hamas. Il faut dans le même temps exiger de l’Etat d’Israël l’arrêt immédiat des bombardements et la levée du siège inhumain de Gaza.

On leur coupe les vivres, l’eau, le gaz, on les oblige à un exil impossible à l’intérieur même d’un territoire exigu, le plus densément peuplé au monde. On y détruit les hôpitaux, on tire sur des ambulances.

Tsahal doit renoncer à entrer dans ce territoire, le prix en vie humaines sera trop grand, en victimes militaires ou civiles. C’est une catastrophe humanitaire qui se prépare et il est encore temps de l’éviter.

Israël doit renoncer tout autant à la colonisation des territoires palestiniens en Cisjordanie. Cela constitue un obstacle de plus en plus grand à la création d’un Etat palestinien.

Le gouvernement français interdit les manifestations favorables à la Palestine sous prétexte qu’elles pourraient générer des troubles. C’est l’effet contraire qui risque de se produire. Ces interdictions sont de nature à alimenter les tensions dans la société française. On ne peut se résoudre à ces limitations des libertés collectives. Le droit de manifester est sacré, les pouvoirs publics doivent le garantir et en tout cas ne pas le nier.

Il faut exiger la levée du siège de Gaza ainsi qu’un cessez-le-feu immédiat et ouvrir à nouveau des négociations.

Demandons enfin la libération de tous les otages israéliens dont la vie est tragiquement menacée dans ce contexte de revanche exercée par chacun des deux camps. Il faut ouvrir des négociations immédiates dans le contexte d’un cessez le feu plus que jamais urgent et nécessaire. Halte au feu ! D’où qu’il vienne !

Arras

Il est trop tôt pour y voir un lien direct avec la situation au Moyen-Orient, mais le corps enseignant, l’ensemble de la communauté éducative se voient une nouvelle frappés dans leur chair par un acte terroriste perpétré par un agresseur se revendiquant de l’islamisme radical.

Cet acte est évidemment condamnable, il ne doit pas entraîner un amalgame facile qui consisterait à discriminer la communauté musulmane dans notre pays. Il s’agit de faire la part des choses et de prendre toute disposition utile à empêcher de nouveaux drames de ce type en ne se trompant pas d’ennemi. L’attentat d’Arras contre un professeur de français ne doit pas raviver la haine mais au contraire réaffirmer avec force l’exigence à vivre dans une république laïque à l’abri de tout fanatisme.

 Nupes

Alors que la gauche a besoin d’unité pour un jour avoir une chance de gagner et de faire échec à l’ensemble des droites, le parti communiste a décidé de quitter la Nupes pour envisager, selon Roussel, une autre forme d’alliance. Avec qui ?

Cette position a été, sans surprise, saluée par François Hollande qui appelle le Parti Socialiste à son tour à se séparer de la Nupes. On ne peut qu’être inquiet d’une dynamique qui voue l’ensemble des gauches à un échec quasi-certain. On ne peut, sous prétexte de différends d’ailleurs alimentés artificiellement à bien des égards par les droites, se satisfaire d’une situation mortifère pour les forces progressistes de ce pays.

JMG

samedi 30 septembre 2023

Rupture numérique, ou fracture sociale et citoyenne ?

Le numérique ne fait pas que des heureux, loin s’en faut, il est même facteur de distorsion sociale, de discrimination par le savoir ou le savoir-faire informatiques, et par un traitement inégal des territoires  en matière d’infrastructures. Et la fracture, loin de se résorber, parait s’aggraver encore…Nos gouvernants ne montrent aucun empressement à régler le problème ; ou seulement avec le secours du temps puisqu’à court ou moyen terme les principaux concernés (ceux qu’on appelle les séniors) finissent toujours par disparaître. Le cynisme en la matière, même involontaire, peut aussi passer par là.

En 2018, 27% des soixante et plus n‘avaient pas d’Internet. C’est énorme, et particulièrement sensible dans un contexte de disparition des services publics de proximité. Car en effet la fracture numérique s’accompagne de la disparition des services publics dans les territoires abandonnés par la République (comme on dit).

Une certaine élite fait encore semblant de croire que le numérique sera le « Deus ex machina » des carences ou des désengagements de l’Etat, qu’il prendra la forme d’un succédané de l’action publique et de la solidarité nationale,  qu’il se transformera en petite souris républicaine chargée d’infuser partout sa présence, en lieu et place d’une fonction publique qu’on aura fini, délibérément, par mettre hors d’état de servir.

Cette fracture numérique quelle est-elle ? De quoi, de qui, est-elle le nom ? N’est-elle pas au fond le pendant d’une fracture sociale ou bien, tout aussi grave, la cause ou les effets d’une fracture citoyenne ? Ainsi fabrique-t-on des sous-citoyens dans l’incapacité désormais de participer à la vie de la cité dans ce qu’elle a de plus banal et élémentaire  comme par exemple déclarer ses impôts. On a vu tout dernièrement des queues interminables de gens devant les services fiscaux pour remplir convenablement leur déclaration de revenus, des jeunes, comme de plus âgés, cherchant l’aide ou les conseils d’agents de service publics débordés. Servitude volontaire ? De la ténacité en tout cas, ou de l’obstination pour exercer ses devoirs de citoyen ! L’Etat devrait en être reconnaissant, mais notre gouvernement semble-t-il n’en a cure, les gens devront bien se débrouiller.

 On estime à 12% le taux de la population française en manque d’équipements informatiques, et à plus de 45 % en défaut de connaissances de base sans lesquelles le « tout-numérique » se transforme en chemin de croix.

Dans le même temps l’accès aux services publics est rendu de plus en plus difficile. Par exemple 7500 bureaux de poste ont encore disparu en 2020 (9500 en 2015) ; situation analogue pour les services fiscaux, ou ceux du Trésor, ou les caisses primaires d’assurance maladie… Pourtant le gouvernement reconnaissait que sur les 14 millions de Français en difficulté devant l’informatique, « 6 à 7 millions ne seraient jamais autonomes. » Un certain cynisme là encore, intolérable au regard de la continuité et de l’égal accès aux services publics lesquels dès lors ne sont plus garantis.

Usagers-citoyens

Ainsi, au plus près des territoires, 75 000 communes en 2020 n’avaient toujours pas d’Internet qui fût fiable ou suffisamment rapide. Comment dès lors, dans ce contexte de fragilisation, assurer un service crédible et accessible en l’absence de services publics dignes de ce nom  et à la hauteur des besoins et des demandes de la population ?

Ces services publics désormais, l’Etat ayant abandonné le terrain, ont pris des formes nouvelles et sont principalement assurés par les collectivités locales au travers notamment les espaces « France service ».  Ces structures n’ont pas, loin de là, la puissance et l’efficacité de services publics adaptés munis de moyens suffisants de fonctionnement, cela dans l’intérêt de la population des territoires « périphériques », urbains ou suburbains.

Défendant au fond une société plutôt individualiste,  le gouvernement entend bien continuer sa politique de dématérialisation en omettant de considérer et de régler les problèmes collatéraux posés aux usagers-citoyens.

Le Conseil économique et social, dans son dernier avis sur le sujet, revendique le droit au refus numérique. Ainsi le pouvoir en place serait moins tenté de se servir du « tout numérique » comme alibi pour délaisser les services publics dans ces territoires.

Par ailleurs l’usage de l’informatique commande de la part des utilisateurs des connaissances et une adaptation continuelle dont beaucoup ne peuvent se prévaloir. On observe que nombreux sont ceux qui abandonnent des procédures administratives pour cette raison-là, et délaissent des droits susceptibles de faciliter leur réinsertion.   

S’agissant des infrastructures, le pouvoir est tenté par une couverture inégale : un débit qualifié de « bon débit » à savoir  8 mégabits/seconde seraient suffisants pour les territoires périphériques, comparés au 30 mégabits/seconde réservés à des territoires réputés prometteurs et porteurs d’avenir, qui reçoivent toutes les faveurs et les aides du pouvoir.

C’est pourquoi il s’agirait d’éviter cette autre rupture  territoriale. Il est crucial de veiller à une couverture égale sur la totalité du territoire préservant l’égal accès  à Internet. Ce domaine, comme tant d’autres, doit impérativement être épargné par une rentabilité financière à court terme. Internet est un bien commun et devrait être géré démocratiquement, dans l’intérêt général.

Il en va d’un aménagement du territoire qui se doit d’être harmonieux et égalitaire. Il y a lieu de prioriser le traitement des zones blanches pour ne laisser personne ni aucun territoire à l’écart d’une technologie qui peut, malgré les réserves qui ont été brièvement présentées ici, contribuer au lien social.

Notons enfin que ce qu’on nomme l’illectronisme se fonde sur un illettrisme qui reste pandémique dans notre pays.

Le plus important aujourd’hui, le plus crucial, le plus urgent, est bien de garantir à tous une possibilité de saisir l’administration autrement que par le numérique, de permettre à tous l’utilisation des moyens classiques tels que le courrier postal, le téléphone et bien entendu l’accueil physique.

Se pose, plus que jamais, en même temps que les évolutions technologiques, l’ardente nécessité de réinstaurer l’humain au cœur  de la question.

JMG  

lundi 18 septembre 2023

Lois de finances 2024 : danger

Emmanuel Macron et ses soutiens, oligarques, mais aussi ses parlementaires « playmobil », ou membres de la droite élargie qui ne voit que ses propres intérêts, tel Eric Woerth ancien ministre du budget ayant trouvé là une ultime occasion d’exister politiquement, tous ces gens collaborent à saper les institutions sur lesquelles sont bâties les solidarités nationales susceptibles pourtant d’assurer une cohésion sociale nécessaire à la démocratie. Y sont-ils d’ailleurs attachés à cette démocratie alors qu’ils pourfendent ainsi l’Etat Social ?

C’est donc autour de ce risque a-démocratique que le travail souterrain se poursuit dans le plus grand mépris de l’intérêt général et contre une classe, celle des salariés, qui ne sait plus comment riposter, soit par découragement, soit aveuglée et trompée par une propagande gouvernementale, diviseuse et sournoise, alimentée par le caractère soit disant incontournable d’une « dette » sacro-sainte.

Se préparent actuellement, en cet été porteur de toutes les angoisses, dans la moiteur des cabinets ministériels, plus singulièrement à Bercy, les projets de loi de finance de la sécurité sociale comme celui de l’Etat.

Et comme toujours les conséquences sont concrètes même si, pour faciliter leur acceptation par la population, ces mesures peuvent être distillées à doses homéopathiques, mais, et c’est là que le bât blesse, depuis plusieurs années maintenant. On pourra toujours considérer que 50 cts d’euro de reste à charge pour un médicament est une somme modique et doubler cette somme ne portera pas à conséquences. Mais avec les années et les réformes successives il n’en reste pas moins que le taux de couverture de la sécu n’est plus aujourd’hui que de 50% en moyenne.

L’année 2024 verrait la franchise médicale ainsi que la  participation forfaitaire doubler sous le prétexte qu’il faut « sauver » la sécurité sociale insinuant par la même occasion l’irresponsabilité de l’ensemble des assurés sociaux. Cette franchise concernerait aussi le paramédical. Ce genre de mesures sera sensible pour les plus modestes lesquels de plus en plus renoncent aux soins (près de 27% des assurés sociaux.)

Elles s’ajoutent aux déremboursements des frais de transports médicaux qui passent de 65 à 55% après ceux encore plus significatifs des soins dentaires qui passeront à partir du premier octobre de 70 à 60% (décision qui date de juin dernier et qui est passé sous forte chaleur comme une lettre à la poste). Les premières victimes sont ceux des assurés sociaux qui ne pourront se payer une bonne mutuelle. Les complémentaires-santé devront compenser par une prise en charge globale de 500 millions d’euros annuellement. Elles devront en conséquence augmenter leurs cotisations. C’est encore une pierre supplémentaire apportée à la privatisation rampante de la « sécu » amplifiant les inégalités devant la santé.

Les mesures proposées pour l’année prochaine permettraient au gouvernement d’économiser 1,3 milliards d’économies. Mais le gouvernement Macron entend également poursuivre sa politique de lutte contre la fraude sociale (27% de l’objectif global aux dires du gouvernement). Les arrêts-maladies seront pour leur part l’objet de contrôles renforcés comme pour culpabiliser plus encore les praticiens et les patients.

Or, on sait bien que la question du financement de la sécu et de son déficit supposé proviennent d’abord d’un problème de recettes qui d’année en année s’amenuisent sous les coups de butoir d’une politique de l’offre, foncièrement néo-libérale, décomplexée.

En dix ans, entre 2012 et 2022, le montant des exonérations de cotisations sociales, de moins en moins ciblées, a été multiplié par 2,8 grossissant ainsi les aides publiques aux entreprises les plus grandes, sans contrepartie. Cela concourt à l’affaiblissement de la sécurité sociale et se traduit par des déremboursements touchant de façon inégalitaire les couches les plus démunies de la population.

Et le budget de l’Etat…

Côté budget de l’Etat au sens strict le ministre Bruno Lemaire  entend faire des économies à hauteur de 15  milliards d’euros. Rappelons que ces économies se justifient, aux dires du gouvernement, pour courir après une dette qui se monte désormais à 3000 milliards d’euros. Cela prêterait à rire si ces coupes budgétaires n’étaient sans conséquences sur le plan social et se traduisait par une baisse de 6% des budgets consacrés aux services publics dont ceux touchant les hôpitaux dont on sait qu’ils sont aujourd’hui à la limite d’une rupture mortifère.

Les aides à l’apprentissage seraient également touchées tout comme est annoncée la fin des boucliers tarifaires laissant présager une envolée des factures d’électricité et de gaz.

Les aides au logement seront aussi impactées à la baisse par le biais notamment d’une refonte du Prêt à Taux Zéro (PTZ).

Quant aux collectivités locales, elles sont aimablement appelées à un effort de « modération de la défense publique ». Certains élus locaux ne cachent pas leur inquiétude quant à une possible baisse de la Dotation Globale de fonctionnement qui de toute façon aura peine à suivre l’inflation.

Les dépenses sont contenues à l’excès pour faire plaisir à Bruxelles mais aussi à la « finance » dont E.Macron reste le grand ami. Tant et si bien d’ailleurs que les vaches sacrés de la politique fiscale de notre président ne sont nullement remises en cause. Ainsi le gouvernement ne veut-il  pas entendre parler du relèvement du taux de prélèvement forfaitaire unique (la fameuse « flat tax » importé du monde anglo-saxon) que le Modem lui-même, pourtant dans le camp gouvernemental, avait proposé.

Oui, les vaches sont bien gardées au service des plus riches dans un pays où nos 43 milliardaires ont vu leurs revenus augmenter de plus de 20 % en une année seulement (depuis2022).

Nous n’arriverons à sortir de l’impasse que dans l’unité retrouvée d’une gauche qui se rassemble autour d’un projet à la fois réaliste et ambitieux. La balle est dans le camp d’une gauche qui n’aura pas renoncé à sa mission.

JMG


article paru dans le numéro 307 de Démocratie et Socialisme

samedi 29 juillet 2023

Réforme du RSA : vers la décivilisation

 « Décivilisation » : E. Macron a repris ce néologisme pour dénoncer la violence de la société. Mais il l’a cultive, il la pratique même, elle n’est pas seulement un repoussoir idéologique qu’il utilise de façon évidemment mensongère, elle est pour lui un moyen de cacher une misère qu’il entend perpétuer en continuant de « réformer » un pays pour qui précisément la notion de réforme a perdu tout son sens. Dans une certaine continuité néo-libérale,  la « réforme » est synonyme de déclassement aussi bien collectif qu’individuel. Elle est même devenue pour beaucoup le signal douloureux de la colère,  voire l’aspiration inéluctable à la révolte.  Les « réformes » successives des retraites, et plus singulièrement la dernière en date, resteront dans l’histoire sociale comme une illustration des impérities  gouvernementales en la matière. Elle est là la violence.

Il est des réformes particulièrement nocives et pernicieuses en cela qu’elles ajoutent à la régression la volonté de diviser la société, plus particulièrement sur le dos des plus démunis. Ainsi en–est-il de cette « réforme » du RSA qui à l’inutilité sociale ajoute une certaine forme de démagogie consistant à désigner du doigt des gens qui, comme certains à droite le prétendent, profiteraient du système.

La réforme du RSA (revenu de solidarité active), après celle de l’assurance chômage participent de cette attaque contre la civilisation. Car une véritable civilisation, digne de ce nom, sert précisément à ne laisser personne en dehors du chemin, à donner à chacun la chance de s’en sortir lorsque les accidents de la vie découragent les plus résistants. Macron et son gouvernement, et l’ensemble de sa majorité qui d’ailleurs n’en est plus une, divise et stigmatise.

Le projet de loi prévoit que chaque bénéficiaire du RSA devra avoir une activité de 15 à 20 heures par semaine sous peine de voir leur allocation réduites ou supprimée. Les activités proposées (ou imposées) pourront être de tout type, ce qui pourra permettre aux entreprises ou collectivités d’avoir une main d’œuvre à bon marché. C’est le risque même si le gouvernement prétend vouloir aider les bénéficiaires à retrouver un vrai emploi en les encadrant mieux par un suivi plus étroit exercés par des « conseillers » ou des travailleurs sociaux. On estime qu’il faudrait recruter 40 000 conseillers supplémentaires. Qui paiera au final ? N’oublions pas que le financement du RSA aujourd’hui est essentiellement assuré par les Conseils Départementaux.

A cet égard les Macronistes ne disent pas grand ’chose sur les moyens que cette politique nécessitera, et probablement rien ne sera fait ou si peu à l’heure où le gouvernement relance la guerre aux « dépenses publiques ».

Cette absence de réalisme en la matière risque donc d’aggraver encore davantage les effets négatifs de cette énième réforme anti-sociale. Elle se dévoile qui plus est comme une opération de communication idéologique du gouvernement qui entend ainsi se rapprocher des droites extrêmes en stigmatisant tous ceux qui ne participeraient pas activement à l’enrichissement national ou qui ne feraient qu’en profiter.

Mais il est bon à cet égard de rappeler que le taux de non-recours est estimé entre 20 et 35%. C’est considérable et rien n’est fait actuellement pour encourager les bénéficiaires potentiels à faire valoir leurs droits. C’est même exactement le contraire qui se produit dans un contexte de stigmatisation des plus pauvres. Tout se passe comme si on cultivait et instrumentalisait leur honte de manière à circonscrire ce qu’E. Macron qualifiait de  « pognon de dingue ».

Alors que le taux de pauvreté est fixé à 1280 euros, ce sont 1,85 million de ménages qui bénéficient du RSA pour un montant d’un peu plus de 600 euros par mois.

Ce qu’on ne dit pas c’est que malgré leur bonne volonté beaucoup de ces bénéficiaires n’auront pu trouver d’activités. Que faire en effet lorsqu’on ne peut financer ou obtenir un permis de conduire indispensable à l’exercice de « l’emploi » proposé, quelle solution trouver lorsque généralement on ne bénéficie d’aucune facilité de mobilité, que les services publics, notamment ceux relatifs à la petite enfance, sont à ce point absents ou insuffisants pour faire garder ses enfants ? Que faire lorsqu’une succession d’échecs brise en fin de course toute volonté de s’en sortir ?

Les travailleurs sociaux mesurent chaque jour les difficultés que rencontrent ces personnes, souvent des ménages monoparentaux, pour chercher puis trouver une activité rendue artificiellement obligatoire. Cette loi si elle était adoptée se révélera foncièrement inutile au regard de l’exigence d’intégration et de lutte contre la relégation sociale.

Actuellement 40% des bénéficiaires sont inscrits à Pôle emploi. Le projet de loi dispose que les bénéficiaires du RSA nouvelle formule devront obligatoirement être inscrits à Pôle Emploi lequel s’appellera désormais « France Travail ».

La terminologie n’est pas neutre, elle témoigne d’une volonté gouvernementale de remettre enfin « la France au travail » dans un contexte où le gouvernement se plait à souligner les difficultés à trouver du personnel dans des métiers dits « en tension ».

Les personnes en RSA seront tenues désormais de signer un contrat d’engagement où seront précisés les contenus des emplois proposés ainsi que le nom du conseiller qui leur tiendra lieu de référent. A ce propos la Cour des Comptes elle-même faisait remarquer que les budgets finançant les accompagnements des allocataires avaient depuis une vingtaine d’années diminué drastiquement. Beaucoup de moyens supplémentaires seront donc nécessaires pour rattraper le temps perdu. L’Etat comme les collectivités concernées en auront-elles la volonté ? Rien n’est moins sûr.

Les travailleurs de ce pays se battent pour leur dignité, y compris surtout ceux qui se trouvent malheureusement privés d’emplois. Vouloir les mettre dans l’obligation de travailler alors qu’ils aspirent à avoir un emploi décent relève précisément de l’indignité gouvernementale. Le Revenu de Solidarité Active, après le RMI, doit être considéré comme un minimum social pour aider à vivre ou à survivre en cas de chômage.

Ces minimas sociaux ne devraient pas s’accompagner d’activités forcées. Ils doivent être au contraire prioritairement majorés et ouvrir à de véritables droits à formation facilitant le retour à des emplois stables et honorablement rémunérés.

Le recul de l’âge de la retraite à 64 ans imposée sans aucune discussion par le gouvernement ne va faire qu’aggraver les choses. De plus en plus de salariés vont se trouver en situation de précarité avant leur admission tardive à la retraite. Cela risque de poser des problèmes insolubles aux gestionnaires du RSA.

Ce dernier doit être appliqué sans condition et redevenir un revenu minimum pour, dans l’attente d’un emploi, simplement combattre la misère.

JMarc Gardère


article publié dans le numéro 306 de "Démocratie et socialisme"

lundi 29 mai 2023

La République jusqu'au bout

On peut tout lui faire dire à la République et beaucoup dans l’Histoire ne s’en sont pas privés en tordant les valeurs qui lui sont attachées,  en les  distordant même jusqu’à en faire des outils de la répression.

Jean-Fabien Spitz, professeur de philosophie politique, dans son essai*, revient sur les conséquences des politiques économiques et sociales qui affectent la population laborieuse depuis une quarantaine d’année en France. Ainsi il rappelle que la part des salaires sur la valeur ajoutée en France a baissé de 10 points passant de 74% en 1977 à 64% en 2007 au profit direct du capital. Cela est dû à des politiques délibérées produisant une précarité accrue au sein  du salariat. Il souligne en parallèle le repli identitaire qui affecte un bon tiers de l’électorat.

La question est de savoir comment sont considérées les valeurs républicaines dans un contexte de capitalisme triomphant, et surtout de quelles interprétations ou utilisations elles sont l’objet.

Le versant politique du libéralisme se limite seulement aux droits des individus et s’oppose à l’idée d’un Etat régulateur. La tyrannie de la marchandisation peut donc se déployer sans plus d’entrave. Paradoxalement le capitalisme agressif a besoin d’un Etat suffisamment fort lui garantissant la concurrence dans un marché qui vitalement doit rester en extension.

Mais ce capitalisme sans entrave fait que la société qui l’engendre se délite sous la frappe des inégalités sociales ou économiques. Le capitalisme triomphant ne peut ignorer longtemps la démocratie politique, ne serait-ce que pour se fonder sur une adhésion citoyenne dont il a un absolu besoin. Il s’agit donc pour ce libéralisme de veiller à produire du « consentement »  pour lui permettre de poursuivre son développement.

C’est ici qu’intervient « la République » mais telle que veulent la penser les néo-libéraux abandonnant et niant par là-même sa mission séculaire d’émancipation, au profit d’un autoritarisme délibéré. Cette république-là, méconnaissable, affaiblie à l’extrême, ne fait donc plus obstacle à « la tyrannie de la marchandisation » mais au contraire la façonne à sa manière en faisant croire à la fusion prétendument heureuse des rapports marchands avec l’autorité politique. La république se transforme en conséquence en un alibi  pour la défense de l’ordre établi. Et Spitz de rappeler un Adolphe Thiers réprimant, sous la Commune, les forces démocratiques qui défendaient une société d’égaux libres et indépendants.

C’est au nom de cette république falsifiée que sont votés par exemple des lois qui portent atteinte aux libertés publiques. Et de citer, si proches de notre actualité, les lois de répression et de surveillance telles celles de mars 2010, ou encore la loi « anti-casseurs » du 10 avril 2019, et enfin celle scélérate du 25 mai 2021 « pour une sécurité globale » même si elle fut, en partie, (notamment l’article 24 du projet), jugée anticonstitutionnelle.

 

 Liberté, égalité, fraternité, laïcité

Ainsi nait et se développe une idéologie de nature sécuritaire contraire à un impératif de sûreté soucieux de l’intérêt général. Les discriminations et exclusions sont niées, et l’inégalité consacrée sous le couvert d’une « égalité » apparente ou abstraite, dans un contexte d’accélération déraisonnée des inégalités sociales, comme dans notre pays depuis quelques dizaines d’années. L’exclusion ainsi engendrée dans notre société alimente de surcroit le repli identitaire au lieu de le combattre comme le ferait une République sociale exemplaire.

Quant à la liberté, dépendante du marché, calibrée à son service, elle se voit privée de ses valeurs politiques qui pourtant fondent la souveraineté du peuple. La liberté individuelle, avec le contrat comme mode de fonctionnement, s’établit au détriment d’une liberté collective capable de promouvoir et de défendre l’indépendance des plus faibles dans la société.

La valeur de fraternité est donc elle-même remise en cause par le marché puisque ce dernier ne saurait tolérer l’inquisition d’un Etat providence qui chercherait à déterminer les besoins individuels, à juger le mode de vie des plus pauvres, et qui prétend les assister–« un pognon de dingue ! » – au lieu de créer les conditions de leur indépendance économique.

Relativement à la notion de laïcité, la République est convoquée, mais là encore de manière frauduleuse, pour conforter et affirmer les identités religieuses, nationales ou culturelles à un moment où précisément ceux qui emploient ce vocabulaire s’ingénient à détruire les institutions sociales qui rendent possible la cohésion nationale.

Dès lors, la République devient une arme des conservateurs, une manière pour la droite de dissimuler les inégalités et non plus une arme de la gauche pour défendre une société égalitaire. Ce ne doit pas être une raison pour en abandonner le principe.

La République doit rester celle de Louis Blanc ou de Jaurès, Louis Blanc qui écrivait un an avant sa mort : « la République ce n’est pas seulement l’hérédité monarchique supprimée,  le principe d’association consacrée, le droit de réunion reconnu, la conscience affranchie, la pensée libre. La République, c’est l’école ouverte aux pauvres comme aux riches, c’est la possession des instruments de travail rendue de plus en plus accessible aux travailleurs ; c’est l’abolition graduelle du prolétariat ; c’est l’incessante recherche des moyens à employer pour que tous arrivent à pouvoir développer librement leurs facultés inégales, pour que la joie des uns ne s’achète pas au prix de la douleur des autres. »

Si l’on veut éviter l’extrémisme, il est une seule solution viable, celle de réduire les inégalités sociales par la voie d’une véritable démocratie politique, définition même d’une République responsable, factrice d’émancipation citoyenne.

Jaurès n’a-t-il pas dit du socialisme qu’il était la République jusqu’au bout ?

JMarc Gardère

*La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Jean-Fabien Spitz, Gallimard, NRF essais

 

lundi 8 mai 2023

Résistances

Emmanuel Macron fait interdire, par préfets interposés, les manifestations appelées par les organisations syndicales dans un certain nombre de villes, notamment à Lyon, contestant sa politique de casse sociale. 

Il le fait un huit mai, jour de la capitulation de l'Allemagne nazie. Méconnait-il que c'est au lendemain de cette guerre que les principales conquêtes sociales furent mises en place sous l'impulsion des forces politiques issues de la Résistance ?

Ainsi ces entraves aux manifestations syndicales, sous prétexte que ces dernières porteraient atteinte à la tranquillité et au bon déroulement des célébrations officielles, sont-elles contraires à l'esprit même de ce qui conduit à la victoire de 1945, en négation des acquis sociaux qui suivirent au prix d'un combat héroïque, tel celui de Jean-Moulin notamment, et de tant d'autres, que Monsieur Macron prétend vouloir honorer.

JMG


dimanche 12 mars 2023

Homicides

 Un député de la Nupes, Aurélien Saintoul, membre de la France insoumise, c’était le  13 février dernier en plein débat parlementaire sur les retraites, traitait d’assassin Olivier Dussopt le ministre du travail. Ce dernier s’en était offusqué et avait demandé des excuses à l’intéressé qui dans la foulée s’était exécuté, sous la pression semble-t-il de son propre camp soucieux d’une crédibilité qu’il entendait ne pas perdre.

La question derrière la polémique

Le député Aurélien Saintoul soulignait que la contre-réforme des retraites, la énième du genre, ajoutée à la politique gouvernementale depuis 2017, se trouvaient en corrélation avec l’augmentation des victimes d’accidents du travail et de maladie professionnelle. On peut prendre le terme d’ « assassin » au premier degré comme l’ont fait, pour des raisons politiciennes, les députés macronistes.

L’attaque du député Saintoul était sérieuse, elle touchait à une réalité douloureuse,  la vie au travail elle-même dans ce qu’elle peut avoir de pénible ou parfois de mortel.

Aurélien Saintoul appuyait là où ça fait mal, soulignant l’augmentation des accidents mortels du travail depuis quelques années (de 550 cas en 2017 à 733 en 2019). Il y aurait en France, selon Eurostat, 3000 accidents du travail par an pour 100 000 salariés, plaçant notre pays parmi les plus exposés. L’assurance maladie a comptabilisé 645 morts au travail en 2021 pour 800 000 cas d’accidents du travail.

On note que les travailleurs intérimaires payent un plus lourd tribu que les permanents. Toutefois le nombre d’accidents, toujours selon l’assurance maladie, aurait accusé une baisse de près de 10% entre 2019 et 2021, baisse consécutive selon elle à de meilleures formations dispensées aux apprentis.

On compte deux fois plus d’accidents du travail chez les hommes que chez les femmes, les métiers exercés étant plus à risque pour les uns que pour les autres et parce qu’il apparait que les femmes apportent une plus grande attention aux respects des préventions.

On note également que la fréquence et la gravité des accidents augmente avec l’âge ce qui milite pour un âge de départ à la retraite moins avancée. La logique est implacablement d’actualité : plus tôt vous partez en retraite moins vous risquerez l’accident au travail.

Les secteurs les plus concernées sont par ordre d’importance le bâtiment, la logistique et l’agriculture en des lieux et conditions de travail multiples dans la nature des risques, (charges lourdes, travaux en hauteur, intempéries…)

Les milieux du BTP dévoilent une  sinistralité plus grande dans la mesure où les intervenants sont variés et qu’une multitude de petites entreprises sont susceptibles d’intervenir rendant d’autant plus difficile la diffusion des pratiques de prévention.

Sont également concernés, mais avec peut-être un peu moins d’intensité tous les métiers liés aux activités minières, aux travaux agricoles ou forestiers. L’éloignement de ces lieux de travail des centres de secours sont un facteur supplémentaire de risques.

Il en est un autre, plus global et plus structurel, lié à l’externalisation des tâches, opérée par les grandes entreprises ou les grands groupes industriels et commerciaux auprès d’entreprises sous-traitantes. Celles-ci sont rendues particulièrement vulnérables par le manque de culture de prévention des risques. D’autant plus que les instances représentatives de personnel sont ici beaucoup moins présentes pour organiser la prévention. L’exposition aux risques n’est pas compensée, comme c’est le cas des grandes entreprises, par un respect plus ordonné de mesures préventives visant à réduire les risques de maladie professionnelles ou d’accidents du travail.

Plus généralement il est à noter que les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont en progression importante depuis quelques années (gestes répétitifs ou vibrations par exemple par l’utilisation d’engins). Soulignons enfin l’importance et la persistance des risques psychosociaux consécutifs globalement à la désappropriation par les salariés des processus de production ; ou dus à un management très souvent inapproprié, déterminé par des exigences toujours plus grandes en productivité dans le contexte d’un capitalisme financier triomphant.

Un monde du travail fragilisé

C’est dire l’importance de dispositions législatives et réglementaires visant à protéger la santé comme la sécurité des salariés. En 1982 le Comité d’Hygiène et de sécurité devenait le CHSCT montrant l’attention portée (lois Auroux) par le gouvernement de l’époque aux conditions de travail. La mesure semblait révolutionnaire : le CHSCT s’affranchissait ainsi du comité d’entreprise dont la compétence se limitait à la dimension économique de l’entreprise.

Malheureusement et depuis le 1er janvier 2020 une nouvelle loi travail disposait de la suppression du CHSCT dans un but inavoué mais assez clair : fragiliser le contre-pouvoir syndical dans les entreprises en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Tout cela dans le contexte d’une politique dite de l’offre traditionnellement attribuée à la droite mais menée par un Emmanuel Macron (succédant à Hollande), privilégiant la liberté des entreprises plutôt que les souhaits et les intérêts des salariés. Cela entre en résonnance avec une dévalorisation du travail passant par la diminution des moyens accordés à l’inspection du travail par exemple.

Ainsi sont supprimées les instances de représentation des salariés, comité d’entreprise, les délégués du personnel et CHSCT se transforment en une structure unique : le Comité Social et Economique (le CSE), le CHSCT se réduisant en une simple commission. La même chose devait s’appliquer dans l’ensemble des fonctions publiques.

Depuis une vingtaine d’années les Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail avaient fait leurs preuves pour compenser ou diminuer réellement les risques que subissent les salariés dans l’exercice de leurs métiers. En cela le CHSCT était respecté de l’ensemble du patronat. Son avatar, la commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (SSCT), ne pourra donc plus jouer pleinement le même rôle d’expertise : elle n’en aura plus les moyens répondant ainsi à une pression patronale exercée de longue date. Cela s’accompagne d’une diminution drastique du nombre d’heures de délégation des représentants du personnel.

Bien sûr les membres des gouvernements qui auront été à l’origine de la fragilisation des contre-pouvoirs en matière de conditions de travail ne sont pas pour autant des assassins. En cela le député Saintoul avait tort. Mais il avait raison en dénonçant des politiques publiques qui, ne prenant pas la juste mesure des choses en matière de droit du travail, peuvent conduire au pire.

 

JMG

article paru dans le n°303 mars 2023 de Démocratie et Socialisme

 

mercredi 1 mars 2023

Impuissance parlementaire

On a beaucoup dit que les députés de la Nupes, et plus encore parmi ceux de la France Insoumise, bloquaient le fonctionnement de l’Assemblée Nationale, et donc ne permettaient pas le débat sur la réforme des retraites. Il aurait fallu notamment que l’article 7 du projet, celui qui détermine l’âge légal de départ à la retraite, puisse être discuté sans l’obstruction parlementaire dont il aurait été l’objet. Et en effet le vote de cet article par la représentation nationale n’a pu avoir lieu au grand dam du gouvernement qui pensait ainsi écrire dans le marbre ce fameux âge de départ.

Les députés LFI ont multiplié les amendements voulant ainsi accompagner et soutenir le mouvement social mais avec, en quelque sorte, les armes de l’impuissance, les seules qui leur soient données. Même les organisations syndicales ont dans leur ensemble condamné les actions de ces députés. Et le Front National lui-même, un comble, a su tirer son épingle du jeu en faisant passer ses députés pour des sages de l’Assemblée.

La polémique ainsi crée, artificielle, ne sert donc pas la gauche. Elle la sert d’autant  moins  que les attaques les plus virulents sont réservées au groupe le plus important qui compose la Nupes.

Cela bien sûr ne manque pas de nourrir l’antiparlementarisme qui caractérise la vie politique française. Ce Président dédaigne de respecter la représentation nationale en se servant sans vergogne des outils que lui offre la Constitution de la Vème république.

La chienlit parlementaire, s’il en est, c’est lui. L’article 49-3 servis à toutes les sauces budgétaires, et au-delà, c’est lui ; l’article 47-1 qui permet de raccourcir encore plus le débat c’est encore lui qui l’utilise, même au risque de l’anticonstitutionnalité.

La Constitution de la Vème République c’est la cour des miracles de la démocratie ou de ce qu’il en reste, c’est la courte-échelle faite à E. Macron pour réaffirmer cyniquement son mépris du peuple.

Ce qui vient de se passer à l’Assemblée Nationale, ce prétendu foutoir parlementaire, ce tumulte qui peut sembler infantile et dont la droite, d’un extrême à l’autre en passant par le macronisme, aura fait ses choux gras, ne sont pas le fruit du hasard : mais bien plutôt la conséquence naturelle d’un régime constitutionnel qui laisse la part trop belle à l’exécutif même lorsque, et c’est le cas ici, ce dernier ne détient qu’une majorité relative (qui un temps a pu donner à certains des espérances déçues sur une lecture plus démocratique de la Constitution).

C’est pourquoi il convient de ne pas se tromper d’adversaire, de ne pas se donner plus de bâtons qu’il n’en faut pour se faire battre. L’assemblée Nationale est à l’image du pays, celle d’une France bloquée, bâillonnée, qui ne laisse rien passer d’une inspiration démocratique. C’est pourquoi pour l’heure la rue doit prendre le relais et le mouvement social rester vivace et combatif.

La victoire est incertaine mais c’est bien la seule solution donnée au monde du travail pour défendre pour le moins ce qu’il a de par son histoire durement conquis. Et donc il est impératif de préparer le 7 mars prochain dans l’unité la plus large possible.

En attendant une VIème République plus respectueuse de l’intérêt général.

JMG